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jeudi 7 août 2014

1914 : une semaine avec un poilu aubiérois_01



Durant le mois d’août, et peut-être plus, nous allons suivre un soldat aubiérois, jour après jour, grâce à ses carnets de guerre. Il s’agit d’Eugène Martin (1886-1970).

Les carnets de guerre d’Eugène Martin ont été retranscrits par Catherine Vidal-Chevalérias, petite-fille d’Eugène Martin, avec l’autorisation de ses petits-enfants : Jean Roche, Annie Roche, Françoise Courtadon, Jean-Pierre Fauve, Jacques Fauve et Jacqueline Actis.
Ils ont été publiés dans le numéro 66 de Racines Aubiéroises, revue du cercle généalogique et historique d’Aubière, en juin 2010.
- Les mots soulignés l’ont été par Eugène Martin ;
- Les photographies, transmises par la famille d’Eugène Martin, sont signalées par la mention entre parenthèses : Collection Eugène Martin.
- Nous avons complété les notes de bas de page de la famille d’Eugène Martin, notamment pour signaler la situation géographique des lieux.
- Les titres sont d’Eugène Martin, sauf ceux en italiques, comme celui qui suit, qui ont été ajoutés par nous.

Une semaine de préparation à Pérignat-lès-Sarliève

4 août.
À 8 heures du matin, nous nous rendons au dit quartier. Nous nous présentons devant le logis du poste qui, après avoir examiné notre livret, nous envoie à Aubière aux sections de munitions. Quelle veine ! Nous revenons au pays, nous allons déjeuner et nous nous présentons aux bureaux de la section. Nous voilà déjà séparés, Mazin et moi, lui est à la 1ère section, moi à la 2ème. Tout de suite, je vais au magasin, installé dans l’école des filles, et tout de suite, je choisis mon paquetage que je porte chez moi. L’après midi, je touche tous les effets de petite monture. Et me voilà habillé en militaire.

5 août.
Je me présente à 6 heures à l’appel. Là, je trouve Gardien, un ancien musicien du 16ème d’Artillerie de la classe 1905, mon ancien quoi, et Martin Gabriel, un collègue aussi. Des poignées de main, de vieux souvenirs renouvelés, bref, garde à vous, c’est l’appel. Tout de suite après, le chef appelle : Martin, Gardien, Martin. Voilà. Il faut remettre tous nos effets au magasin et aller retrouver la 22ème Batterie à Pérignat où nous serons brancardiers.

Je vais chercher à la maison toutes mes affaires que je rapporte au magasin en compagnie de mes camarades Gardien et Martin. Nous déjeunons chez nous, et à 1 heure, nous partons pour Pérignat. Nous nous présentons au bureau de la 22ème Batterie où l’adjudant nous habille immédiatement. Puis je vais apporter mes effets à la tonne de Pérignat où cantonneront pendant notre séjour ici, mes amis Roux, Brudin, Rougeyron, Mourlon, qui sont venus eux aussi comme brancardiers à la 22ème Batterie. Moi, bien entendu, je profiterai du voisinage de mon patelin pour aller souper tranquillement dans ma famille et coucher pendant quelques jours de plus dans mon bon lit.

"Puis je vais apporter mes effets à la tonne de Pérignat..."
(Collection François Bourcheix)

Comment avons-nous passé notre temps à Pérignat ? Nous avions là bonne fortune, les brancardiers, de ne pas encore compter à aucune pièce et alors personne ne nous réclame. Les matins, après mon arrivée d’Aubière, je vais boire le traditionnel jus de chapeau (1) et puis, en compagnie de mes camarades, nous allons en quête d’un journal. Enfin, voilà le marchand. Vite, nous accourons. Puis nous allons le lire autour de l’infirmerie installée dans la mairie. Comme cela nous sommes à l’abri. Si par hasard quelque officier nous demande ce que nous faisons là, « Nous attendons le médecin. », répondons-nous, et on nous laisse tranquille. À 10 heures, nous allons manger la soupe. Puis l’après-midi, nous allons tous du côté de notre petit cantonnement où, à l’ombre de la cabane, nous sommeillons tranquillement jusqu’à vers les 3 heures où nous retournons à l’infirmerie.

Un jour, le médecin nous fait un cours de brancardier, mais il ne s’attache plus comme autrefois à la théorie. Non, la pratique et les situations où nous pourrons nous trouver l’occupent davantage. Un matin, un bonhomme, de ceux qui amenaient les chevaux de réquisition à Pérignat, reçoit un coup de pied. Vite, les brancardiers. Nous saisissons un brancard et nous prenons nos dispositions pour le monter selon les prescriptions que l’on nous avait enseignées. Impossible d’y arriver ! Et sans le secours d’un infirmier du service actif, nous n’aurions pu y parvenir. Enfin, nous transportons le pauvre blessé à la mairie où on le soigne sommairement. Puis on requiert une auto sur la route qui le transporte à l’hôpital de Clermont.

Tous les soirs, je vais chez nous, goûter encore quelques jours la douce intimité de la famille. La conversation roule naturellement sur la guerre et sa durée. On cherche tous les avantages que je peux retirer de mon emploi de brancardier. Et puis disons-nous souvent, « Avant que vous les réservistes vous battiez il y aura du mal de fait ». Oh illusion. S’il n’y avait eu que les soldats du service actif pour faire la guerre, il n’y aurait bientôt plus personne. De temps en temps, Anaïs (2) venait à Pérignat arranger notre fourniment, recoudre les boutons, et toute ma famille venait passer les après-midis du dimanche et derniers jours de séjour avec mes petites Lili et Nénette (3) qui, heureusement elles, ne comprenaient rien à tous ces mouvements.

Avant de partir, avec les anciens de Pérignat...
(Collection François Bourcheix)

Pourtant, 2 jours avant de partir, on va faire une sortie en tenue de campagne. Ce n’est pas une petite affaire de dresser tous ces chevaux de réquisition aux habitudes des harnais et du bon ensemble de leur marche. Les uns se cabraient, d’autres avançaient, reculaient, impossible de partir en bon ordre. Nous, les servants, tenions les sous-verges (4) par la bride ; les conducteurs tenaient les porteurs et après plusieurs hésitations, ils réussirent à démarrer. Nous allons sur la route d’Issoire jusqu’à Orcet et puis demi-tour, la manœuvre est terminée. Nous faisons nos sacs, prêts à partir.
Le 11, veille du départ, tout est prêt, sac, musette garnie de provisions pour la route. Toute ma famille vient me voir à Pérignat, de crainte que nous soyons consignés le soir et que je ne puisse comme d’habitude rendre une dernière visite au patelin. Il n’en est rien. Le capitaine, Tisnés, jeune officier, nous donne l’heure du départ pour le lendemain et nous sommes libres.

Notes :
(1) – Jus de chapeau : café.
(2) – Anaïs Cougout, épouse d’Eugène Martin (1889-1966).
(3) – Céline (1911-1994) et Marie-Antoinette (1912-1992), les deux filles aînées d’Eugène Martin et d’Anaïs Cougout.
(4) – Sous-verge : cheval attelé, non monté, placé à la droite d’un autre également attelé qui porte le cavalier.


© - Cercle généalogique et historique d’Aubière


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