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mardi 1 avril 2014

Le déserteur s'évade



Un déserteur est arrêté par les gendarmes. Une partie de la population aubiéroise vole à son secours. Ce ne fut probablement qu’un fait divers, car les rares journaux locaux de l’époque ne le relatèrent pas. Ni “L’Ami de la Charte” ni “Le Journal du Puy-de-Dôme“ n’en firent état dans leurs éditions des jours suivants.
La désertion, à cette époque, était assez fréquente. Était-elle due à la lassitude des guerres napoléoniennes ou à la nouvelle loi militaire votée le 12 mars 1818 (Loi Gouvion-St-Cyr), organisant le recrutement par volontariat et tirage au sort, avec possibilité de remplacement... ?
En tout cas, la réaction des Aubiérois face aux gendarmes fut assez violente.


C’est à la suite de l’une des multiples rixes, malheureusement habituelles, entre des jeunes d’Aubière et de Beaumont que cinq gendarmes vont être dépêchés à Aubière.
En faction sur la place des Ramacles, le dimanche 23 juillet 1820, sur les dix heures du matin, les gendarmes remarquèrent que quelques jeunes gens se dirigeaient en courant du côté de certaines caves qui sont hors du village. Futés, ces gendarmes soupçonnèrent tout de suite que ces jeunes gens courraient ainsi pour aller prévenir de leur arrivée quelques déserteurs qui pourraient être cachés dans les caves. Ils les suivirent et virent, en effet, sortir d’une cave un homme qu’ils reconnurent pour être Guillaume Cougout, dont la famille habite Aubière et qui était soldat déserteur de la Légion du Puy-de-Dôme. Le jeune homme fut arrêté. Les gendarmes se disposèrent à le conduire de suite à Clermont.
Pendant la traversée d’Aubière, les gendarmes furent injuriés et menacés par plusieurs habitants. Un rassemblement de plusieurs centaines d’individus fut bientôt formé aux cris que poussait Michelle Bayle, mère de Guillaume Cougout, le déserteur : « Sauvons-le, Sauvons-le ! ».
Les gendarmes n’étaient pas à deux cent pas hors du village que ce rassemblement les atteignit en poussant des cris et des huées. Il fut bientôt facile de voir qu’il n’avait d’autre but que l’évasion du déserteur arrêté. La fureur dont Michelle Bayle était transportée était tellement aveugle qu’elle n’était pas intimidée par le pistolet qu’un des gendarmes lui présentait avec mine de tirer sur elle. Elle avait saisi le canon du pistolet et en avait arraché la baguette.
Les gendarmes sommèrent à plusieurs reprises la foule qui les pressait de se retirer, mais elle ne tint pas compte des sommations et des ordres réitérés.
Trois gendarmes étaient employés à conduire et à garder le déserteur. Les deux autres étaient un peu en arrière et s’efforçaient de faire reculer les individus qui s’approchaient de plus en plus. Cette manœuvre réussit pendant quelques centaines de mètres. Arrivés sur le plateau des Cézeaux, la route était bordée de vignes de chaque côté. C’est alors que les gendarmes virent l’attroupement se partager en deux bandes qui entrèrent dans les vignes et firent pleuvoir sur eux une grêle de pierres.
Un gendarme en fut atteint à la tête, au-dessus de l’œil droit, et renversé par terre ; un de ses camarades tira alors un coup de carabine en l’air pour effrayer les mutins, mais ce fut inutilement. Leur fureur et leur audace n’en furent que plus grandes. Les quatre autres gendarmes furent successivement atteints et violemment meurtris de coups de pierres. Les plus acharnés à lancer les pierres n’étaient autres que le père du déserteur, François Cougout, ainsi que les deux frères Chalamaux, dont un frère est également déserteur. Le procès-verbal ne cite pas les prénoms des frères Chalamaux mais nous les découvrirons dans l’acte d’accusation.
Tous leurs efforts et les coups de carabine et de pistolets qu’ils ont tirés n’avaient d’autre objet que de tenir la foule écartée. Reconnaissons aux gendarmes le mérite qu’ils eurent de se contenter de défendre leurs vies et leur capture, sans attenter à celle de leurs agresseurs. Cependant, la pression de la foule fut trop grande et les cordes dont le déserteur était attaché furent coupées par sa sœur, Anne Cougout, et il s’évada.
L’adjoint de la Commune, qui se présenta décoré de son écharpe, et qui ordonna à l’attroupement de se dissiper, ne produit aucun effet sur l’esprit des rebelles ; il paraîtrait même que ce magistrat fut frappé, mais que ce fut par mégarde.
Cependant, l’attaque cessa. Les gendarmes, blessés et couverts de sang, furent transportés chez l’adjoint. L’officier de santé leur prodigua les premiers soins. Incapables de se déplacer par leur propre moyen ou même à cheval, ils furent transportés à Clermont en charrettes.
Il ressort du rapport de l’Officier de santé qui les a visités et pansés, que celui des cinq gendarmes qui était le plus gravement blessé était le Sr Gilbert Tailhaud qui avait :
1° une plaie d’un pouce de long sur le sommet de la tête ;
2° une blessure au-dessus de l’œil droit, d’un pouce d’étendue et de quatre à cinq lignes de profondeur ;
3° plusieurs fortes contusions sur les membres supérieurs et sur différentes régions du tronc, et qu’il a fallu seize ou dix sept jours pour arriver à la guérison de ces coups ou blessures ;
Qu’un autre gendarme était atteint, au-dessus de la hanche gauche, de deux très fortes contusions compliquées d’ecchymoses, qu’il a fallu l’application des sangsues et un traitement méthodique pour arriver à sa guérison au bout de quinze jours.
L’officier de santé ne parle pas des autres gendarmes.

Acte d’accusation
Il a été établi contre François COUGOUT, Michelle BAYLE, sa femme, Anne COUGOUT, leur fille, et les deux frères CHALAMAUX, tous habitants de la Commune d’Aubière :
« Au nom du Procureur Général de la Cour Royale de Riom, le Substitut soussigné, expose que par arrêt de cette Cour, rendu le trente et un aout mil huit cent vingt par la Chambre d’accusation, il a été déclaré qu’il y avait lieu d’accuser François Cougout, de la profession de cultivateur, Michelle Bayle, sa femme, Anne Cougout, leur fille et les deux frères Chalamaux, tous habitants de la Commune d’Aubière, canton et arrondissement de Clermont-Fd, d’avoir, le vingt trois du mois de juillet dernier, au dit lieu d’Aubierre, fait partie d’une réunion de plus de vingt individus, dont plus de deux étoient armés, qui, ledit jour, se seroient opposés - avec violence et voie de fait et au mépris de l’invitation et des ordres qui leur auroient été plusieurs fois donnés au nom de la Loi, de se séparer, - à l’arrestation de Guillaume Cougout, soldat, déserteur de la Légion du Puy-de-Dôme, lequel ils seroient venus à bout de délivrer d’entre les mains de cinq gendarmes de la Ville de Clermont, après avoir fait aux cinq gendarmes susdits, diverses blessures et contusions dont le traitement et la guérison auroient duré moins de vingt jours, ce qui constitue de la part des susdits François Cougout, Michelle Bayle, Anne Cougout et les deux frères Chalamaux, un crime de rebellion à la force publique, prévu par l’article 210 du Code Pénal, et les susdits accusés ont été renvoyé devant la Cour d’Assises du département du Puy-de-Dôme, qui tiendra ses séances en la Ville de Riom, pour y être jugé selon la Loi. »


Réponses aux questions posées au jury (résumé de l’acte d’accusation) :
François COUGOUT, 45 ans : Oui, l’accusé est coupable d’avoir fait partie d’un rassemblement porteur d’armes ostensibles, contre la force armée, mais sans aucune des circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation : Coupable
Michelle BAYLE, 44 ans : Oui, l’accusée Michelle Bayle est coupable d’avoir fait partie d’un rassemblement contre la force armée, mais sans aucune des circonstances comprises dans le résumé de l’acte d’accusation : Coupable
Anne COUGOUT, 20 ans : Oui, l’accusée est coupable ...   id   : Coupable
Guillaume CHALAMEAUX, 26 ans : Oui, l’accusé est coupable d’avoir fait partie d’un rassemblement de plus de 20 personnes, mais sans aucune des autres circonstances énoncées dans l’acte d’accusation : Coupable
André CHALAMEAUX, 19 ans : Non, l’accusé n’est pas coupable : Acquitté

Le document ne dit pas la peine à laquelle les quatre coupables ont été condamnés. (1)

Note généalogique :
(1) – François Cougout est né le 7 septembre 1775 à Aubière ; il est le fils de Jean et d’Anne Brunbourdon ; il est marié depuis le 19 février 1794 à Aubière à Michelle Bayle, née le 2 novembre 1776 à Aubière, fille de François et d’Antoinette Noëllet. Guillaume Cougout, le déserteur, est né le 24 août 1797 à Aubière ; sa sœur Anne est née le 11 avril 1800 à Aubière.
Guillaume Chalamaud est né le 28 janvier 1794 à Aubière ; il est le fils de Guillaume et de Michelle Dégironde. Enfin, le seul acquitté, frère du précédent, André Chalamaud, est mon ancêtre (ouf !). Il est né le 11 novembre 1801 ; il mourra en 1880 à Aubière. A noter que leur frère, reconnu déserteur par le procès-verbal cité ci-dessus, ne peut être que Ligier, né le 4 août 1797 à Aubière.

Source : A.D. 63 - U 25172 - Extrait des minutes du Greffe de la Cour Royale de Riom.

© Cercle Généalogique et Historique d'Aubière (Pierre Bourcheix)

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