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vendredi 21 septembre 2012

Le ban des vendanges à Beaumont_01



On sut très tôt que pour obtenir un vin de qualité, la vendange devait être parvenue à sa complète maturité. Toutefois, le vigneron, craignant la grêle, les dégâts des oiseaux ou les maladies de la vigne (mildiou, oïdium, etc.), avait quelquefois tendance à anticiper sur le moment le plus approprié. La nécessité de réglementer les vendanges se fit donc très vite sentir et l'on institua le ban des vendanges.

Sous l'Ancien Régime, il consistait pour les seigneurs à proclamer le début des vendanges et à en fixer les modalités en désignant les terroirs devant être successivement vendangés, non sans rappeler les amendes encourues pour ceux qui ne les respectaient pas... Il ne faut pas non plus oublier que les seigneurs avaient tout intérêt à ce que les vendanges fussent concentrées successivement en des lieux désignés d'avance afin d'éviter une dispersion qui n'aurait pas facilité la perception de leurs dîmes (1). Ceci explique donc leur détermination à conserver cette prérogative.
A partir de 1790, le ban des vendanges fut proclamé par un arrêté de la municipalité, visé par le Préfet.

Ban des vendanges - Beaumont 1499
(Collection Pageix)

Le plus ancien ban des vendanges que j'ai pu retrouver dans les archives de l'abbaye de Beaumont, date de 1499. On vendangeait alors par « pans », c'est à dire par secteurs regroupant plusieurs terroirs voisins. En voici le texte, tiré des archives de l'abbaye de Beaumont (2). Une annotation manifestement portée plus tard (l'écriture est du XVIIe siècle), se trouve en marge du texte du XVe siècle ; elle est retranscrite en italique. Par ailleurs, la numérotation ajoutée entre crochets [ ] sur la transcription renvoie au plan-itinéraire présenté plus loin où j'ai indiqué par ces mêmes numéros les zones vendangées au fil des jours :

« Limitations des pans et territoires des vignes pour l’ouverture d’iceux pour les vendanges a l’avenir suivant et en execu(ti)on de la transaction passee entre madame l’abbesse et les éleus et habitans de beaumont. »
« Les pans menciones et declares aux lectres de translacion ont ete limites ainsi que s’ensuit

[1-2-3] « Premierem(en)t a este appoincte q(ue) le p(re)mier pan co(m)encera despuis la porte Real Jusques a la croix du masage Et de lad(ite) croix du masage au teroir de la volpilhera Suyvant le chemin Dauroiel (Les Rivaux) Jusques au pont eymery et de lad(ite) crois du masage Jusques a la Riviera d’artiera dud(it) beaumont
« Cy sont les t(er)roirs quy sont (com)pris dans led(it) pan p(re)mier

[4-5-6] « Et p(re)mierem(en)t les t(er)roirs de las veyrias de las testas las mouretas bon Roche et tous les (comunaulx?)

[7-8-9] « L’aut(re) pan comencera despuis lad(ite) porte Real Jusque a la croix des lundars (les Liondards) en allant a clermont
« cy sont les t(er)roirs dud(it) pan
« Les terroirs de la garde Soutrana et de P(ier)re  Roye (Pierre Rouge)

[10-11-12] « L’aut(re) pan acomencera a la font de fromage tirant au t(er)roir de las chaussades et tirant au telh de Sainct guille(aume)
« Cy sont les terroirs
« Les terroirs de las colonges de la penderia et tout g(ar)de velhe (Garde Vieille)

[13-14-15] « L’aut(re) pan comencera au teyroir de las chaussades tirant le chemin du matarel Jusques au trevys (carrefour de chemin)
« Cy sont les t(er)roirs
« C est assavoir mo(n)tpouly la velse  (la Verre ou Lavert)  montbayol

[16-17-18] « L’autre pan comencera au teyroir de las chaussades Jusques a la Riviera dud(it) beaumont
« Les t(er)roirs sont
« C’est assavoir le Matareau (le Matarel) la courbe la Roche et la lunginya (les Longines)

[19-20 et 21] « L’autre pan toutes les vignes que sont de la Riviera dud(it) beaumont
« Les t(er)roirs sont
« C’est assavoir les Rongieres les faisses (Las Fouessas, les Foisses) le Sout et prolhiat ».

Assurément, ce vieux texte des bans de 1499 avait été inséré à dessein dans les registres de justice du monastère. On souhaitait ainsi entériner une fois pour toute, à l'issue du long procès évoqué plus loin, une sorte d'«arrêté-type» constituant une référence en cas de nouveau litige. Pour nous, il permet, après identification et localisation des terroirs désignés, de suivre l'itinéraire des vendangeurs :

Plan-itinéraire du ban des vendanges
(Collection Pageix)

J'ai représenté sur ce plan la répartition des cultures au XVIIIe siècle sur le territoire de Beaumont (pour plus de clarté, les bornes n'y ont pas été indiquées). On y distingue les vignes (naturellement dominantes), les vergers le long de la rivière d'Artière, les champs et les communaux (à l'extrémité ouest). La réserve seigneuriale comprenait les terroirs de Champ-Blanc, la Rongeyre, la Condamine, du Petit et du Grand Coin. Après la vente des biens de l'abbaye dont certains Beaumontois se portèrent acquéreurs, ces terroirs furent évidemment inclus dans les bans promulgués par la suite. Leurs noms furent changés entre-temps en Bernard-Maître et Champ de Madame...

Voyons dans le détail comment s'effectuait la proclamation du ban des vendanges et le déroulement de celles-ci au XVIe siècle :
Lorsque le raisin arrivait à maturité, les élus sollicitaient de l’abbesse ou de ses officiers la permission d’assembler les habitants pour fixer la date et le déroulement des vendanges.
Les vignerons se réunissaient alors dans la maison du Saint-Esprit, et désignaient douze sages chargés d’inspecter les vignes. Afin, peut-être, de ne point susciter de jalousie entre les deux paroisses, on élisait six hommes de Saint-Pierre et six autres de Notre-Dame de la Rivière...
Après avoir prêté serment devant l’abbesse ou ses officiers de « bien et loyalement visiter les vignes », ces douze experts s’acquittaient de leur mission en allant « visiter les territoires et viniobles estans dans la dicte justice de beaumont pour veoir si les raisins estoient meurs pour le cullir et amasser ». Ils faisaient ensuite leur rapport à l’abbesse, en lui proposant la date qui leur semblait la plus favorable.
Le monastère se ménageait un délai de deux ou trois jours avant la date fixée afin de préparer ses caves et son matériel, de prévoir des gardes en nombre suffisant pour surveiller les vignes, et de réunir les bêtes de somme nécessaires au transport des dîmes.
Une ordonnance abbatiale, criée par un sergent, proclamait ensuite le ban des vendanges, c’est à dire la liste des terroirs que l’on devait successivement vendanger. On disait alors que l’on vendangeait “ par pans ”.
Les gardes dépêchés par le monastère, que l’on appelait les « dixmiers », veillaient tout particulièrement à ce que les « pans » fussent vendangés les uns après les autres, conformément à l’ordonnance.
Si un vigneron s’avisait de vendanger sans respecter l’ordre prévu, on disait qu’il « enjambait les pans ». Toute infraction à ces règlements était passible d’une forte amende.
Ces précautions permettaient à l’abbaye de porter tous ses moyens matériels et humains sur un espace restreint, fixé à l’avance, afin de collecter ses dîmes avec plus d’efficacité et à moindre frais :
Les témoins interrogés en 1494 fournirent d'ailleurs des explications claires à cet égard, qui furent consignées dans le registre d'enquête précité :
« Et dit le dict deposant que si les dictes vignes ne se vendangeoient pas par pans, les dictes demanderesses (les religieuses) y auroient grand interest car il leur fauldroit avoir grand quantité de gardes pour garder les dixmes et quantité de bestes pour iceulx dixmes pourter à la dicte abbaye et avec ce perdroient beaucoup de leur dictes dixmes car elle ne leur dicts gardes ne y pourroient entendre et ne seroient que tout confusion et désordre »... Un autre témoin précise même qu’il « faulx tant que les vandanges dureroient, plus de cent gardes (pour préserver les dîmes) et plus de cent cheveaulx (pour les transporter) »...

Ces règlements relatifs aux vendanges eurent la vie dure, car à Beaumont, on vendangea ainsi « par pans » jusqu'en 1852. Les vendanges se déroulèrent ensuite « en un seul pan pour tout le territoire communal », puis cette mesure fut supprimée avec la publication du dernier ban le 5 octobre 1866 (3).

Pour mon grand-oncle Joseph Pageix, cette réglementation présentait à la fois des inconvénients et des avantages. Voici ce qu'il écrivait à ce sujet (4) :
« Cette mesure pleine de bon sens a été supprimée en 1865. Elle avait pour but de parer à l’imprévoyance des gens. On voit aujourd’hui des vignerons, affolés par la moindre fraîcheur matinale, se ruer sur leur récolte, la cueillir à moitié mûre, tirer leur vin quand d’autres songent à peine à « imbiber » cuves et bacholles. Ainsi, la même année, deux voisins de cuvage trouvent le moyen d’obtenir l’un du vin léger comme piquette, l’autre de celui dont les vieux disaient « zi ni mô do vi de mourâs » (il est noir comme du vin de mûre). Les bans de vendanges mettaient un peu plus d’ordre dans cet état de choses en réglementant la cueillette des grappes. Certes, cette mesure avait des avantages incontestables. D’abord de permettre au village entier de faire une seule qualité de vin : la meilleure ; celle qui faisait dire à nos anciens en vidant une tasse d’argent : « coui de boünô büvento » (c’est de la bonne boisson). Ensuite de faire nettoyer les rues, car si les odorats subtils hésitent aujourd'hui à traverser certains de nos quartiers, qu’eussent-ils fait, il y a cent ans, alors que le traditionnel tas d’ordure montait sa garde invariable à la porte de chaque maison ? Enfin de faire réparer les chemins de culture, ou du moins d’en donner l’illusion, car chacune s’appliquait surtout à réparer devant sa propriété l’emplacement destiné aux bacholles, afin de pouvoir plus aisément ramasser les grains et les grappes que laissait tomber le bertier. Les mottes étaient jetées dans les ornières, et cela faisait très bien pour le coup d’œil sinon pour la solidité. Mais tout n’allait pas sans quelques petits inconvénients, dont le principal était de porter tous les vendangeurs du pays sur le même point le même jour. Il en résultait quelques embarras, car on ne trouvait pas comme aujourd’hui une chaume tous les cent pas pour tourner ou garer les voitures. »

Notes :
(1) - Dîmes : à Beaumont, la grange des dîmes était située à l'extrémité est de la rue du 11 novembre (ancienne rue des Granges). Toutefois, les vendanges faites sur les territoires relevant directement de l'abbaye devaient être directement convoyées vers les vastes cuvages du monastère (la réserve seigneuriale, pour ce qui concerne les vignes, était située sur les terroirs de Chamblanc, etc., figurant sur le plan).
(2) - Fonds de l'abbaye de Beaumont, 50H3, registre de justice de 1499 à 1510, F°5 v° et 6r°.
(3) - Registres des délibérations municipales, Mairie de Beaumont.
(4) – « Beaumont » par Joseph Pageix, paru à partir de 1925 dans le bulletin paroissial et relié par ses soins en un ouvrage de 75 pages. J'ai entrepris sa réédition en y ajoutant un chapitre resté manuscrit (consacré à la culture et au traitement du chanvre) en l'illustrant de ses propres photos et des croquis de Marcelle Russias. Beaucoup de chapitres sont consacrés à la vigne et aux activités qui lui étaient liées (la loue, les vendanges, la vinification, le vin de paille, le marc, etc.).

© Jacques Pageix, 2012

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