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jeudi 30 août 2012

La “Cocachine” vue d’Aubière vers 1662




Ce billet vous paraîtra peut-être incongru, mais ce texte se trouve dans un lieu tout aussi incongru : le Registre paroissial d’Aubière, après l’année 1662 (les années 1663 à 1669 sont manquantes dans cette version retrouvée dans les archives communales).
Ce n’est pas souvent que de telles digressions se rencontrent dans les Paroissiaux d’Aubière, mais le curé de l’époque, messire Amable AUBENY, a du être fortement impressionné par le récit de voyage d’un père jésuite en Extrême-Orient. Il n’a pas résisté à la tentation d’en laisser une trace écrite, d’autant que la fin de ce texte pouvait servir de sujet à un prêche, montrant l’efficacité du baptême, propre à conforter les Aubiérois dans leur foi.
On y trouvera aussi, entre autres choses, les bienfaits du tay (thé) et de l’eau bénite, et de bien étranges coutumes…

Voici la transcription, aussi fidèle que possible, de ce texte :

Page 1

Remarques de la relation de la Chine Cocachine (1) et de la mérique [sic] par le Père jésuite qui en a fait le voyage.

Registre paroissial d'Aubière (après 1662)
(Archives communales d'Aubière)

Premièrement de ces richesses. Elle a plusieurs mines d’or, très fertile en miel et ris et bled mais pour le vin il devient aigre aussitôt qu’il est fait a cause que les raisins ne murissent pas bien.
Leur viande est le ris, leur boisson est de l’eau, mais chaude et cuitte dans les mesmes marmittes qu’ils font cuire leurs ris, se mocquant de nous quand on leur dit que nous buvons frais et disent que cela nous cause beaucoup de maladies et le Père remarque, de trante ans qu’il a demeuré dans ces pais, et n’a pas vu les gouteux et une personne subjette à la gravelle ni de mort subites ny maladies populaires.

Repiquage du riz en Cochinchine


De l’uzage du tay

Le tay est une feuille comme de celle de gradier et ne se trouve aux arbrissaux que dans deux provinces de la Chine. Ils la mettent dans de l’eau bouliante et bien bouchier ; ils boient quand elle tombe au fond du bol sa vertu est de guérir et empesche la douleur de teste, il soulage lestomac et ayde a la digestion et purge les rains et la gravelle et la goutte.

Religion des chinois

Ils adorent le soleil la lune et les étoiles. Leur dieu est Confusius qui leur a donné les lois.
Les chinois font tout autant d’estat de leur chevelure que de leur teste.




Page 2

Le bois dont ils se chauffent du calambouc (2) ; il y en a de trois sortes : l’un sapelle calamba, très odoriférant, qui sert contre toutes sortes de besoins, les autres deux sortes sont laquila qui sont moindres, mais qui ont des effets admirables (3).

Des chrétiens guérirent dans ce pays deux cents cinquante malades avec l’eau beniste seule, comme le fils d’une veufve fut ressuscité par cette mesme eau, qui estoit décédé sans confession, et vesqut long temps après.

Il se trouve dans la Cocachine des nis d’oyseau que l’on met dans potages. Ils ont un si grand goût qui font les délices des plus grands ; ils sont blanc comme la neige, son contenus dans des roches de la mer vis à vis entre les troncs de calamboucs et ors de là n’en trouve pas, ce qui fait dire que ces oyseaux vont sucer le boy de ces arbres et avec le suc et l’escume de la mer ils forment leur nis si blanc et de si bon goût.

Dans ce pays il y a des arbres qui portent des sacs pleins de chataignes, un seul fait la charge d’un homme ; les branches de ces arbres sortent du tronc, en tous (sens), ces sacs que l’on ouvre on dit que l’on tenait dedans plus de cinq centz chataignes et plus grosses que les notres.

Les chinois font la croix sur le front de leurs enfants aussitot qu’ils naissent avec du charbon et de lancre disant que cela les empeche de la puissance du diable.

Le Tonquin est un royaume proche la Chine (4). Il est un grand respect pour les morts et ayeux que font leurs dieux … compte de faire des festains a leurs parents décédés et ce pendant longtemps et ils feront de bons  et superbes  tombeaux.


Page 3

Les femmes adultères y sont mises à mort par un éléphant qui les jette en haut avec sa trompe et les reçoit avec ses deffences et puis les foule aux pieds.

Merveilleux effet du baptesme
Une femme possédée du malin esprit qui ne voulut pas donner relache à cette pauvre créature quoyque l’on sut faire, mais a mesme temps que l’on la baptisée et que l’on jetta l’eau sur sa tete avec les paroles nécessaires aussitôt elle demeura entièrement guérie.

 

Un homme de fort bonne maison estant au lit de la mort abandonné des médecins, aussitôt qu’il se baptise, guéri et fut aussy gay comme auparavant de sa maladie, ce qui donne  a toute une populace de se faire baptizer.

Dans ce pays l’air y est si tempéré qu’il ni fait jamais trop de froy ni de chaud les hommes y vont tout nus despuis de l’estomac en haut may les femmes sont entièrement couvertes.

 

La ville de Surate est une des plus belles de l’inde où il y a tan de marchans de toute nation qu’ils viennent avec assurance parce que la manière veut que l’on y trouve avec assurance afin de débiter les plus rares marchandises du monde.



Notes :
(1) – Cocachine : il s’agit, selon toute vraisemblance, de la Cochinchine, au sud du Viêt-Nam. Bien que conquise par la France en 1859, les jésuites français s’y étaient implantés dès le XVIIème siècle (voir la première implantation française en Indochine).
(2) - Calambac, calambart, calambouc, calambou ou calambour, s.m. Bois odorant des Indes. Le cèdre, le calambou et le palo d’aquila, ne sont rien au prix, VOIT. Lettr.133 (Dictionnaire de la langue française, par E. Littré, 1883)
(3) - Aquilarian : n.m. Arbre ou arbuste des régions tropicales et dont certaines espèces fournissent des bois odorants (famille des Hyméléacées) - (Grand Dictionnaire encyclopédique Larousse, 1991).
(4) – Le Tonquin : le Tonkin, façade est de l’Indochine, entre la Chine et l’Annam.

© - Cercle généalogique et historique d’Aubière – Pierre Bourcheix, Marie-José Chapeau et Georges Fraisse.

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