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vendredi 13 juillet 2012

La loue des sénateurs



Les « sénateurs » étaient ces ouvriers agricoles des siècles passés qui louaient leur service à la journée quand il fallait bien travailler un peu pour manger ou boire une chopine à l’auberge du quartier.
Ils avaient l’habitude, à Aubière, de se rassembler peu avant l’aube sous la halle où savaient les trouver les agriculteurs propriétaires en manque de main-d’œuvre.
C’est ainsi que les « patrons » s’approchaient de la rangée de ces ouvriers aux épaules larges et musclées, au visage rouge et buriné qui attendaient nonchalamment que l’un d’eux lui adressât ces paroles, une question brève, toujours la même :

- Combien veux-tu gagner ?
- Trente sous, comme hier.
- Alors, viens-t’en !
- Qu’allons-nous faire aujourd’hui ?
- On va faucher.

Quand le patron avait rassemblé tout son monde, la petite troupe s’en allait à pied pour les champs ou les vignes.

"Quand le patron avait rassemblé tout son monde, la petite troupe s'en allait faucher"

La Michalle, une veuve dont l’auberge se trouvait près de la halle, avait été la première à prendre les sénateurs comme pensionnaires. Elle s’était attachée les plus sérieux et les moins nomades en leur faisant crédit les jours de pluie et de mauvais temps durant l’hiver. Leur emploi dépendait en effet non seulement des besoins des patrons et du temps mais aussi de leur propre désir à vouloir travailler.

Les sénateurs aimaient à boire. A tel point que chaque soir certains cuvaient leur ivresse écroulés sur une table au fond d’une auberge. D’autres allaient étaler leur bruyante gaieté par les rues sombres et endormies d’Aubière. Il arrivait souvent alors qu’une fenêtre s’ouvrît et qu’un seau d’eau glacée (ou un vase de nuit) vînt à se déverser sur la tête de ces pauvres bougres.

Durant les saisons où le travail ne manquait pas, leur maigre salaire suffisait à les entretenir. L’hiver venu, ils se voyaient contraints d’aller manger la soupe chez les Petites Sœurs des Pauvres aux Bughes à Clermont.
L’hiver de 1880 fut long et très rude. Aussi la Municipalité d’Aubière organisa un secours dans le corps de garde situé au sous-sol de la mairie. Les sénateurs pouvaient venir se réchauffer auprès d’un poêle et s’alimenter du pain et des pommes de terre qu’on leur distribuait. Cet hiver-là leur fut plus doux.

Pierre Bourcheix



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