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mercredi 30 novembre 2011

Chronique de la maison Decorps chez les Paneille

Quelques objets révèlent leur passé

Nous passons notre vie sans trop nous poser de questions. Les objets familiers ont parfois une curieuse histoire, mais parce qu’ils sont familiers, nous nous posons peu d’interrogations à leur égard.
On dit toujours qu’il n’y a pas de fumée sans feu ; on peut en dire autant de propos sur le passé, souvent déformés, mais non dénués de fondement. Pourtant, ces impressions, ou plutôt ces imprécisions, peuvent prendre un contour bien défini. C’est tout à fait analogue à la photographie : il y a une scène de la vie sur laquelle on pointe un objectif, clic, la scène change, l’évènement précédent a disparu ; le temps passe, il est oublié. Un jour, la pellicule et son dépôt argentique se retrouvent dans la salle obscure du labo photo, plongés dans un bain de révélateur, et doucement, doucement, dans une agitation mesurée, peu à peu une image sort du néant, celle d’un passé disparu.



Maison Decorps à Aubière

L’armoire de la chambre, je l’ai toujours vue, ses courbes gracieuses, ses décors au modelé recherché, ses paumelles noires relevées de dessins dorés, un bois chaud à veines fines, un meuble bourgeois.
Une vieille armoire a toujours une histoire, cette histoire, ma mère, Madeleine Decorps, me l’a racontée : « cette armoire a été donnée à la famille par une personne de l’évêché pour des services rendus pendant la Révolution, elle venait d’une maison du boulevard Lafayette à Clermont ».
Puisque nous sommes dans les histoires, en voilà une autre dont je n’ai pas cru un mot, racontée par le cousin germain de ma mère, Robert Decorps : « mon père (François Decorps, dont le prénom familier était Antonin) me disait que la famille était installée depuis des siècles au quartier des Moulins, et que nos ancêtres étaient les serviteurs des seigneurs d’Aubière ».
La glace de la chambre de ma grand-mère a une particularité qui m’a toujours frappé : un défaut dans le tain de la glace, dû à une bougie posée trop près, ou peut-être un petit cierge ; en effet, ma grand-mère avait la hantise du feu, et de ce qui le provoque, la foudre notamment, et durant les gros orages, je me souviens lui avoir vu allumer un cierge. Cette glace est pour moi liée à ma grand-mère, native du Bourbonnais ; la glace ne pouvait être que bourbonnaise.
Autre sujet de souvenir, le grenier et sa poussière, le grand grenier, qui alors faisait toute la longueur de la maison, avec deux petites chambres de bonne aux extrémités. Comme dans tous les greniers, il y a un coffre plein de livres, beaucoup de livres de messe et d’histoires religieuses édifiantes, mais aussi des choses inhabituelles dans un grenier d’Auvergne : plusieurs tomes du petit théâtre de Lesage, et l’histoire d’Amérique, vue par le Mercure de France en 1780. Et puis, il y a les inévitables actes notariés, témoins des affaires du passé… Enfin, ce qu’il en reste, suite à un autodafé. Explications de ma mère : « quand ton grand-père a vendu la maison de la rue Turenne à Brugière le tonnelier, il a vidé tout le grenier ; plusieurs voyages ont été nécessaires pour le cheval et la charrette. Il y avait beaucoup de vieux papiers, mais comme ta grand-mère avait horreur des « vieilleries », elle les a fait brûler (paix à son âme !). Il y avait aussi la vieille perruque de l’oncle Janon ; une perruque rousse qui m’amusait beaucoup. De cette maison, venait également un buffet Louis XIII, certainement d’époque, un antiquaire l’a emporté avec une vague promesse d’échange, que le temps s’est chargé d’effacer. Tous ces biens venaient de l’oncle Janon ».
L’oncle Janon, une légende, un personnage haut en couleur, lettré, riche, procédurier, marié trois fois, sans enfant, et porté d’un amour sans faille pour sa petite nièce, Antoinette Cassière, qui l’a soigné jusqu’à sa mort, et à laquelle il a laissé la quasi-totalité de ses biens.
Antoinette Cassière avait deux petits-fils, mon grand-père (Pierre Decorps, familièrement appelé Emmanuel) et son frère Antonin, que nous avons déjà évoqué. Ce sont eux qui héritèrent de la maison et de son contenu.
Il y a quelques années, j’ai classé les papiers échappés à l’autodafé. Parmi eux, un certain nombre de contrats de mariage, dont deux inclassables, car n’appartenant pas à des ancêtres identifiés. Sur l’un d’eux, j’ai cru lire que le futur était un certain Michel Chabozy. Cela ne m’a pas choqué, car Antoinette Cassière avait épousé Antoine Cassière (et oui !), dont la grand-mère était une Chabozy ; ce Michel Chabozy était peut-être son frère. Quand au nom de la future, il ne m’évoque rien, et il est d’autant plus vite oublié. Voilà que le hasard s’en mêle et réunit plein d’objets hétéroclites, d’origine incertaine dans cette grande maison dont l’histoire n’est que certitude.
Sa construction, que la tradition orale a fixée en 1862, est bien attestée à cette date par le devis du maçon, devis établi « entre les soussignés messieurs Breuly et Decorps Pierre, gendre à Breuly, propriétaires à Aubière, et messieurs Faure Guillaume et Faure Marien, maîtres maçons, domiciliés à Aubière. Fait double entre nous à Aubière sous signatures privées, le 19 mai 1862 ». Suivent les signatures : Faure Marien, Decorps, Breuly.
Guillaume Breuly, nous en reparlerons.
Voilà un aspect statique des choses ; l’eau peut couler tranquillement dans le cours de l’Artière, à trente mètres de là.
Pour passer à l’aspect dynamique, il faut, comme en chimie, un catalyseur, qui permet de passer le seuil de la réaction. Le catalyseur est arrivé, par une main amie qui m’a glissé le document clé :
« Journal économique commencé au mois de juillet 1790 »
Après une courte introspection, le constat est sans appel, le document porte l’écriture de Jean-Baptiste André, baron d’Aubière. Le journal se termine en 1842, l’année du décès du sieur André.
A l’intérieur de la grande histoire, il y a la petite histoire, celle des gens ordinaires, car la clé de cette pérégrination dans le passé est détenue par les domestiques des André d’Aubière. Voici, au fil des pages, les éléments qui les concernent et qui vont nous éclairer :

- juillet 1791 : j’ai acheté par adjudication la maison de la barrière du toureau.
- septembre 1791 : la toinon étant sortie, la marguerite tient lieu de gouvernante en attendant qu’il s’en trouve.
- juin 1793 : michel chaboissier qui conduisait les chevaux et qui était entré le 26 juillet 1790 est sorti le 16 de ce mois, jour auquel il est parti étant tombé au sort comme militaire.
- juillet 1793 : la marguerite a perçu à noyer la dîme.
- octobre 1795 : la marguerite a continuellement demeuré à aubière depuis moissons pour surveiller les ouvrages et partager les récoltes.
- novembre 1795 : j’ai fait donation à marguerite duparroy de la maison située à la barrière du toureau pour les bons services qu’elle a rendus à ma mère pendant la persécution ; elle en jouira dès à présent.
- septembre 1796 : michel chaboissier de romagnat qui nous avait servi autrefois en qualité de charretier, et qui a été depuis à l’armée étant tombé au sort, en est revenu, il continuera de nous servir, je lui donne 100# de gage, il a soin de ma jument qui a été achetée 500# à la foire d’aoust…
- mai 1797 : j’ai fait avec michel chaboissier qui a épousé la marguerite et qui demeurent ensemble à aubière.
- décembre 1798 : les gages des domestiques sont de cent livres pour michel chaboissier, soixante livres pour la toinon chauvet, cinquante livres pour la marie bienfait, la geneviève ci-devant sœur converse de sainte marie ne reçoit point de gages, non plus que la marguerite duparroy.
- mars et avril 1799 : j’ai remboursé a la marguerite duparroy les douze cents livres qu’elle m’avait pretés sous seing privé pour faire face aux frais de la soumission…
- septembre-octobre : l’imposition pour l’an neuf de la maison du toureau : 28# 10s.
- octobre-novembre 1802 : 1000# prêté à mr delorme pour le compte de michel chaboissier.

Voilà l’explication du fameux contrat de mariage « non classable ». Il fallait lire Michel Chaboissier et non pas Michel Chabozy, qui épouse Marguerite Duparroy, propriétaire de la maison de la barrière du Toureau. Ces deux domestiques très économes, ont mis leurs économies de côté, puisqu’ils sont créanciers de leur maître pour de coquettes sommes.
Petite parenthèse, pour saluer cette femme hors du commun, bravant les révolutionnaires pour protéger les biens de ses maîtres, allant « cueillir » les dîmes impopulaires en pleine tourmente au risque d’être arrêtée.
Mais les éléments se sont calmés ; au foyer des Chaboissier naît une fille, Anne, qui grandit sous l’Empire et la Restauration. Elle épouse Guillaume Breuly, mon ancêtre. Malheureusement, elle meurt jeune, le 11 décembre 1825, seule héritière de ses parents. Il semble que Guillaume Breuly hérite des biens des Chaboissier. Il se remarie avec Françoise Arnaud de Cournon, qui meurt rapidement ; encore une dot empochée.
Il épouse en troisièmes noces sa cousine germaine, George Noëllet, qui donne naissance à Anne, le 4 janvier 1835.
Si la Marguerite Duparroy avait du caractère, Guillaume Breuly n’en manquait pas non plus, si l’on en juge par ses réponses au tribunal, lors du procès de la révolte de 1841, où il apparaît comme témoin.
Anne Breuly, apparemment fille unique, amène à son mari, Pierre Decorps, les biens des Breuly, donc les biens des Chaboissier ; c’est-à-dire la maison de la barrière du Toureau, en partie meublée, et sûrement une certaine somme d’argent, si l’on en juge les économies du couple Chaboissier.
Les Decorps-Breuly sont à l’étroit dans la vieille maison qui borde l’Artière, et nous voilà encore en affaire avec les André. En effet, la grande bâtisse reprise sur l’ancien château est mise en vente par les Provenchères (M. de Provenchères avait épousé la plus jeune sœur de Jean-Baptiste André) au prix de 18.000 francs or. Heureusement, l’affaire ne s’est pas faite, pour raison de la cour commune avec les voisins. Les Decorps-Breuly voulaient une indépendance totale. Qu’aurions-nous fait dans ce « temple de Salomon », selon Guillaume Noëllet au XVIIIème siècle ? En plus, il semble bien qu’il n’y ait pas de cuvage, local indispensable pour des vignerons. La raison les ramène au quartier des Sauzettes. D’ailleurs, leur cousin François Decorps a déjà construit auprès de la « maison vieille », derrière le puits. Ladite « maison vieille », quoique bien équipée : grange, remise, écurie, étable, cave semi enterrée, ne semble pas, elle aussi, avoir de cuvage. Il devait s’élever sur le terrain où se bâtira la maison. J’ai pour cela deux indices : au fond des fouilles, nous avons retrouvé la base d’un mur, légèrement en diagonale par rapport à l’axe de l’édifice actuel ; de plus, sur les portes du cuvage contemporain, était peinte la date de 1861. La maison n’a été construite qu’en 1862.
Les dimensions de la maison ont été dictées, comme c’est souvent le cas à Aubière, par les dimensions du terrain. Plus tard, d’autres petits morceaux ont été achetés, mais le parcellaire reste encore visible.
Et le temps passe pour cette belle maison neuve qui voit dix-huit ans plus tard le mariage du fils de Pierre Decorps, Francisque, avec Marie-Anaïs Cassière. La noce a lieu dans l’immense grenier.
Je ne sais pas quand la maison de la barrière du Toureau s’est vendue. En effet, cette vente s’est confondue dans la mémoire de ma mère avec une maisonnette dans le même quartier, rue de l’Echo (il s’y est installé un magasin d’appareillage paramédical : fauteuils roulants, béquilles…). Puis il y a eu ce terrible moment : la Grande Guerre. Mon grand-père Emmanuel en est revenu gazé et tuberculeux. La vie est devenue difficile ; il a fallu vendre, peut-être à ce moment, la maison de la barrière du Toureau, mais sûrement celle de la rue de l’Echo, et la maison de l’oncle Janon, rue Turenne, dans un deuxième temps.
Le contenu des maisons de Clermont a abouti rue Turenne, puis après la vente, rue des Moulins. C’est pour cela que ma mère considérait que meubles, livres et autres marmites de cuivre appartenaient à l’oncle Janon, ce qui n’était qu’en partie vrai. En fait, la maison de la rue des Moulins est devenue le reliquaire de quelques souvenirs des André d’Aubière, reliquaire endormi jusqu’à ce jour.

Marguerite Duparroy et Michel Chaboissier étaient au service du Baron Pierre ANDRE d’Aubière fusillé à Lyon en 1793 et plus tard de sa veuve Anne Favard.

Les Seigneurs d’Aubière après la mort de Gilbert II de Jarrie, Baron d’AUBIERE, chevalier de l’ordre du St Sépulcre de Jérusalem, père d’Isabeau notre ancêtre :

Gilberte de Jarrie, sœur de Gilbert II, veuve d’Annet de la Rochebriant
Gilberte de la Rochebriant,  petite fille d’Annet, fille d’Amable de la Rochebriant, Gilberte épouse en 1637 François de Montaignac
Gaspard de Montaignac fils des précédents, marié à Marie-Françoise de Mascon du Cheix
Jean-Jacques de Montaignac.
La propriété passe à Gilbert de Mascon du Cheix par sentence arbitrale du 26 février 1693 en paiement des créances qu’il avait sur la succession.
Son fils Jean-François de Mascon du Cheix vend la baronnie d’Aubière le 20 juin 1718 à
Guillaume André conseiller au Présidial de Clermont, marié à Amable Jadon
Jean André, son fils, conseiller à la Cour des Aides, marié en 1727 à Marie Le Court de St Aigne
Pierre André, fils de Jean, marié à Anne Favard, dernier seigneur d’Aubière.
En 1800, suite au partage entre les enfants de Pierre André, le château d’Aubière échoie à Marie-Anne André marié le 11 mars 1802 à Alexis de Provenchère, c’est la sœur cadette de Jean-Baptiste, il assure la gestion des terres jusqu’au partage.
Si nous avons hérités de quelques meubles des ANDRE d’Aubière grâce à leurs domestiques, nous descendons de Gilbert II de Jarrie, Baron d’Aubière par sa fille naturelle Isabeau, née vers 1600. La baronnie d’Aubière n’a été achetée à leurs descendants par les ANDRE qu’en 1718.
(Georges Fraisse)

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